Devenir médecin et écrivain
« Je ne suis pas un écrivain qui soigne mais un médecin qui écrit » avait coutume de dire Jacques Chauviré. Pourquoi certains médecins tels Chauviré ou Jean Reverzy dans les années 1950 ont partagé leur vie entre l’écriture à vocation littéraire et la médecine? Pourquoi une « double vie »? Afin de comprendre ce besoin d’écriture nous rappellerons comment la formation médicale (rite de passage) bouleverse le registre des représentations et des sensibilités. Cependant chez le médecin qui écrit, la rude épreuve initiatique n’a jamais pu réussir comme le dit Jean-Christophe Rufin, à le rendre « invulnérable ». Une hypersensibilité à la souffrance, un excès d’empathie (mais comment trouver la juste distance sensible?) renvoie le médecin au souci de soi. Le défaut ou « defect » de la supposée cuirasse d’insensibilité (en fait une distorsion du sensible) devient la source et le creuset de son écriture. Quoi qu’il en soit il s’opère un passage de l’utilisation médico-scientifique de la langue centrée sur le corps-organe, à une parole libre d’expression, ouverte à la complexité des choses et à l’esprit du doute. Aussi faut-il louer l’initiative pédagogique de la « médecine narrative » (R. Charon) issue du grand retour du récit des années 1990 et des travaux de P. Ricœur, et visant à retouver le sensible dans l’intelligible même. « Enormité de la tâche » écrivait le poète et chirurgien Lorand Gaspar évoquant, dans ses « Feuilles d’hôpipal » la difficile relation thérapeutique. Certes mais on ne naît pas médecin ou écrivain, on le devient.
A propos du conférencier
Gérard Danou
Gérard Danou est docteur en médecine et docteur ès lettres (habilité à diriger des recherches en histoire culturelle "littérature et médecine"), ancien chercheur associé à... Lire la suite